Pascal: la croyance et la grâce

Trois catégories d’individus

Ce qui est étonnant à la lecture des Pensées c’est le fait que Pascal distingue en réalité trois catégories d’individus. Il y a schématiquement les libertins, nécessairement malheureux puisque éloignés de Dieu ; ceux qui ont été élevés dans les préceptes de la religion mais sans avoir rencontré Dieu et se trouvent de ce fait dans certain état d’attente de survenue de la grâce, donc forcément malheureux également ; et enfin les individus qui ont reçu Dieu. Aux yeux de Pascal il apparaît que seule cette dernière catégorie d’individus connaît la sérénité consécutive à la survenue de la grâce divine.

Rien ne peut justifier la croyance consécutive à la grâce et c’est dans cette mesure que la foi demeure un mystère. Pourtant le fait de chercher à convaincre le libertin sous-tend une certaine forme de prosélytisme contraire au principe même de la foi, don de Dieu, puisque « l’authentique foi est celle du cœur et non de la raison ».

Un pari ?

Mais toutefois si la grâce est un don de dieu non compatible avec la démonstration, alors à quoi sert le pari ? Il est évident que le pari n’en est pas un. Il n’est que moyen, ayant pour seule valeur une prise de conscience qui implique la nécessité d’une action.

En effet, si la conversion du libertin ne peut être basée sur le raisonnement on peut alors imaginer que le sens de cette prise de conscience va dans celui d’une réduction de l’ego, écran le plus sûr pour empêcher l’accession de l’être à la grâce divine. Un détail nous a semblé capital, c’est le fait que l’incroyance est aussi irrationnelle que la croyance.

Le raisonnement de Pascal se tient dans la mesure où le libertin, qui appartient à la première catégorie d’individus, peut évoluer vers la catégorie des pratiquants n’ayant pas connu la grâce, par le biais du désir du cœur qui rend disponible à Dieu et aboutit à une contrainte du corps ; ce corps étant rendu docile à la religion par l’entremise du rituel, préalable utile (bien que non indispensable pourtant) à l’amélioration de l’être, et qui le prédispose de cette manière à une éventuelle survenue de la grâce.

La Grâce : un parcours individuel et non prosélyte

Le raisonnement se tient certes, mais ne peut-on pas imaginer que l’idée même d’une certaine forme de prosélytisme est fondamentalement contraire à la notion de grâce divine en tant que don de Dieu ? Autrement dit l’accession à la grâce par la prière n’est-elle pas un parcours strictement individuel, qu’on ait ou non été élevé dans la croyance entretenue par le rituel ? En d’autres termes, quel est le sens de la religion en dehors de cet échange de pureté que constitue l’acte de prière, la compénétration de deux absolus, la rencontre de deux âmes ?

Le don de Dieu

Dès lors que le savoir vient du cœur et ne peut être atteint par la raison, cela signifie qu’il correspond à une connaissance de l’existence de Dieu, sans qu’on puisse pour autant en connaître la nature, puisque la croyance consécutive à la grâce est passion. C’est à mon avis cet aspect de son raisonnement, au cœur des Pensées, qui classe de fait Pascal parmi les mystiques. Or, qu’est-ce qu’un mystique ? Que dit Pascal de la survenue de la grâce divine et de la raison de cette survenue ?

Il me semble que la survenue de la grâce divine ne peut être liée qu’à une expérience intime extrêmement profonde, c’est-à-dire à une expérience mystique, ou une série d’expériences mystiques, au sens propre du terme. Il est probable que la survenue de l’état de grâce est lié à une perception intime, une générosité, un amour préalable qui prédispose à la spiritualité et fait que le don reçu constitue également un don de soi, un don de l’Etre tout entier libéré des entraves de l’ego.

Le don de Dieu est également don à Dieu.

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